La boucle tétralogique

Désordre
Organisation
Ordre

Morin, Edgar (1977 / 2008). La nature de la nature. Paris: Éditions du Seuil. S.74.

Nous pouvons donc dégager de la cosmogénèse la boucle tétralogique: La boucle tétralogique signifie que les interactions sont inconcevables sans désordre, c’est-à-dire sans inégalités, turbulences, agitations, etc., qui provoquent les rencontres. Elle signifie qu’ordre et organisation sont inconcevables sans interactions. Nul corps, nul objet ne peut être conçu en dehors des interactions qui l’ont constitué, et des interactions auxquelles il participe nécessairement. La particule, dès qu’elle devient solitaire, se brouille comme objet, semble interagir avec ellemême, et de toute façon ne peut se définir qu’en interaction avec son observateur. Elle signifie que les concepts d’ordre et d’organisation ne s’épanouissent que l’un en fonction de l’autre. L’ordre ne s’épanouit que lorsque l’organisation crée son propre déterminisme et le fait régner dans son environnement (et l’ordre gravitationnel des grands astres peut dès lors apparaître aux yeux éblouis de l’humanité newtonienne comme l’ordre souverain de l’univers). L’organisation a besoin de principes d’ordre intervenant à travers les interactions qui la constituent. La boucle tétralogique signifie aussi, et cela nous le verrons de mieux en mieux, que plus l’organisation et l’ordre se développent, plus ils deviennent complexes, plus ils tolèrent, utilisent, voire nécessitent du désordre. Autrement dit, ces termes ordre/organisation/désordre, et bien sûr interactions, se développent mutuellement les uns les autres.
La boucle tétralogique signifie donc qu’on ne saurait isoler ou hypostasier aucun de ces termes. Chacun prend son sens dans sa relation avec les autres. Il faut les concevoir ensemble, c’est-à-dire comme termes à la fois complémentaires, concurrents et antagonistes.
Enfin, cette relation tétralogique, que j’ai cru pouvoir dégager de la cosmogénèse, doit être placée au coeur problématique de la physis. La physis émerge, se déploie, se constitue, s’organise à travers les jeux de la cosmogénèse qui sont ces jeux tétralogiques mêmes. Du coup, on entrevoit que cette physis est bien plus ample et riche que ne l’était l’ancienne matière : elle dispose désormais d’un principe immanent de transformations et d’organisation: la boucle tétralogique que nous avons vue à l’oeuvre.